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Grand reportage - Le grand écart du Kazakhstan, coincé entre l’ours russe et le dragon chinois

Le grand écart du Kazakhstan, coincé entre l’ours russe et le dragon chinois

Grand reportage

09/04/23 • 19 min

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Premier épisode de notre série « Les nouvelles routes de la soie, 10 ans après ». C’est au Kazakhstan que Xi Jinping lançait il y a exactement une décennie ce que Pékin appelle son « projet du siècle ». Le poids lourd des cinq républiques de l’Asie centrale, a-t-il su en profiter ? L’ex-république soviétique reste aujourd’hui sous influence de son mentor historique russe. Mais la guerre en Ukraine pousse le Kazakhstan davantage dans les bras de la Chine qui convoite ses hydrocarbures et sa position géostratégique.

Sur un parking, des dizaines de voitures chinoises rutilantes sont garées l’une à côté de l’autre, en attendant d’être chargées sur des trains de fret. Elles traverseront le Kazakhstan sur des milliers de kilomètres pour arriver, neuf jours plus tard, à leur destination finale : Duisbourg en Allemagne. Nous sommes dans la zone économique spéciale (ZES) de Khorgos, un vaste parc industriel planté au beau milieu de la steppe kazakhe. C’est ici, à la frontière entre la Chine et le Kazakhstan, que les deux pays ont créé un nœud ferroviaire et routier, destiné à devenir un carrefour du commerce mondial, trait d’union entre la Chine et l’Europe.

« Jusqu’en 2014, il n’y avait que des dunes ici, affirme Serguali Seitkazine, habillé d’un gilet orange, casque de chantier vissé sur la tête. Depuis, nous avons aplani le terrain et installé l’eau, les canalisations et l’électricité. » Un producteur de couches pour bébé, un fabricant de nourriture pour bétail et dix autres usines sont déjà implantées et 30 autres doivent suivre, indique le directeur des relations avec les investisseurs. À l’avenir, confie-t-il les yeux brillants, un aéroport international verra le jour, et le géant chinois du commerce en ligne Alibaba livrera ses marchandises dans le monde entier à partir d’un nouvel et immense entrepôt de distribution.

La mer est à 2 500 kilomètres

Pourtant, rien ne s’y prête. L’endroit est situé près du point eurasiatique de non-accessibilité : la mer la plus proche se trouve à plus de 2 500 kilomètres d’ici. La Chine pouvait difficilement choisir une région moins accueillante pour réaliser ce que le président Xi Jinping appelle « le projet du siècle » : les « nouvelles routes de la soie ». L’objectif : désenclaver l’Ouest chinois pour exporter les produits fabriqués dans l’usine du monde vers les marchés internationaux.

Dix ans après l’annonce par Xi Jinping des « nouvelles routes de la soie », Khorgos peine à attirer les multinationales. Seuls 700 sur les 4500 hectares sont occupés, et cela malgré les réductions d’impôts et les terrains mis à disposition gratuitement aux investisseurs. Mais Hicham Belmaachi y croit : « Quand Khorgos est sorti de terre, beaucoup de professionnels du monde de la logistique n’étaient pas convaincus, affirmant que c’était un projet fou ; mais aujourd’hui, il a son utilité primordiale pour desservir cette région, soutient cet homme d’affaires franco-marocain, envoyé au Kazakhstan en 2015 par son entreprise Dubaï DP World, troisième opérateur portuaire mondial. C ’est un projet qui restera dans les livres d’histoire et ce n’est que le début : on va créer une véritable ville très dynamique aux portes de la Chine. »

Cette ville nouvelle s’appelle Nurkent, entourée de vastes plaines de sables, fouettée par des vents de sables en été et des températures qui descendent à moins 20 dégrées en hiver. Avec ses aires de jeux envahies d’herbes folles et ses façades en plâtre déjà défraichies, le triste ensemble de barres d’immeubles ne donne guère envie d’y vivre. À terme, 100 0000 personnes doivent y habiter. Mais jusqu’à présent, seuls 4 000 ouvriers du rail et des douaniers ont élu domicile ici. Parmi eux, Aïmane et sa famille, venue de l’est du Kazakhstan, attirée par les salaires stables et des logements mis à disposition par l’employeur : « Nous travaillons pour la société nationale des chemins de fer. Nous sommes très heureux, parce que nous gagnons bien mieux notre vie ici que chez nous. »

Seule attraction dans ce coin perdu pour Aïmane et ses voisins : le grand centre commercial « Duty free » transfrontalier, une immense zone franche sino-kazakhe où l’on peut acheter des produits hors taxe, pour la plus grande partie de fabrication chinoise.

Le lait de chamelle kazakh côtoie des sacs Armani

Après avoir passé quatre postes de contrôles et la zone militaire clôturée et équipée d’une myriade de caméras de vidéosurveillance, le visiteur est projeté dans un univers bien étrange et décidément chinois. Des écrans géants diffusent des publicités pour des rouges à lèvres aux couleurs criantes. Dans les boutiques climatisées, du lait de chamelle en poudre côtoie des sacs Armani. Tous les prix sont affichés en yuan, la monnaie chinoise. La grande carafe en cristal Baccarat de cognac Louis XIII coûte 240...

09/04/23 • 19 min

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