
Épisode 6 - Écrire, un plaisir d'enfant ! Avec Jessica Nelson
03/18/20 • 26 min
Jessica Nelson est romancière, co-fondatrice de la maison d’édition Les Saints Pères qui reproduit, en tirage limité, les manuscrits de grands écrivains, et elle vient tout juste de rejoindre l’aventure de l’école Les Mots pour animer un atelier au long cours intitulé “Aller au bout d’une histoire”. Elle est aussi membre du jury de “La Rencontre”, nouveau système mis en place par Les Mots pour permettre aux jeunes auteurs ayant finalisé un manuscrit de l’envoyer à l’école pour être lus par des professionnels et éventuellement, si le manuscrit est abouti, présenté à des éditeurs.
Dans ce podcast, Jessica Nelson partage le plaisir d’enfant avec lequel elle aborde l’écriture et la littérature. Mais elle raconte aussi les difficultés, les moments de panne, de blocage, les refus d’éditeurs qui lui ont permis de se construire et d’apprendre à écrire. Enfin et surtout, elle nous parle de sa passion de toujours : les manuscrits d’écrivains comme Marcel Pagnol, Flaubert, Raymond Radiguet... et de tous les trésors d’apprentissage qu’ils recèlent.
Autrice de plusieurs romans (dont “Mesdames, souriez chez Fayard, “Tandis que je me dénude” et “Debout sur mes paupières” chez Belfond) et d’un essai sur l’anorexie (“Tu peux sortir de table” chez Fayard), Jessica Nelson vient de publier une biographie romancée sur l’un de ses écrivains préférés, Raymond Radiguet : “Brillant comme une larme” (Albin Michel).
Création et réalisation : Lauren Malka. Musique : “Machine à écrire” Paroles : Louise Pressager / Musique Ferdinand Identité graphique : Nina Jovanovic. Direction générale : Elise Nebout.
Extrait lu : “Brillant comme une larme”, (éditions Albin Michel, janvier 2020
“Raymond ignorait toutefois que sa vocation de poète impressionnerait autant Alice. A-t‐il été prétentieux en en faisant mention ? Il s'agit pourtant bien d'un désir qui le tenaille depuis fort longtemps ; chaque jour, il s'astreint à écrire quelques vers. À présent qu'Alice est au courant, prétendre à ce titre lui paraît tout naturel. Il sera poète. Ou plus exactement : il est poète. – Une carrière de poète, cela se vit, mais cela se pense, aussi ! fait remarquer Alice. Regardez-moi. Regardeznous. Mon rêve est d'exposer mes modestes oeuvres. Cependant, je ne connais personne dans le milieu artistique parisien. Je sais que, sans appui, mon travail ne sera pas présenté au public. C'est pour cela que je me suis adressée à votre père. – Vous insinuez que je vais devoir trouver des appuis ? Que le travail seul ne suffit pas ? Un nuage plane brièvement au-dessus des jeunes gens. Alice a, sans le vouloir, profondément vexé le garçon. – Raymond, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, bien sûr que votre talent suffit, enfin, un coup de pouce ne sera pas de trop ! Ce serait un tremplin pour que votre art s'épanouisse ! Raymond ne réplique pas, de peur de gâcher leur parenthèse romantique en répliquant qu'il n'a besoin de personne pour avancer. Il sait au fond qu'elle n'a pas tort. N'étant pas le rejeton d'une famille aisée ou d'une dynastie influente, ne brillant pas au sein d'une constellation d'artistes, publier sa poésie risque d'exiger une sacrée dose de patience. Son intuition lui souffle à nouveau qu'il serait judicieux de contacter Apollinaire. Il se promet de reprendre la rédaction d'une lettre de présentation, dès son retour à Saint-Maur. Alice, de son côté et malgré l'ombre du nuage, se sent pousser des ailes. Ce soir, ses propres parents ne manqueront pas de la questionner : où est-elle allée, qu'at‐elle commandé, a-t‐elle déposé sa liste de mariage, choisi les meubles de la chambre à coucher ? Elle répondra par un demi-sourire, ou un demi-silence : elle sera pleinement femme en prenant cette liberté de ne pas répondre”.
Jessica Nelson est romancière, co-fondatrice de la maison d’édition Les Saints Pères qui reproduit, en tirage limité, les manuscrits de grands écrivains, et elle vient tout juste de rejoindre l’aventure de l’école Les Mots pour animer un atelier au long cours intitulé “Aller au bout d’une histoire”. Elle est aussi membre du jury de “La Rencontre”, nouveau système mis en place par Les Mots pour permettre aux jeunes auteurs ayant finalisé un manuscrit de l’envoyer à l’école pour être lus par des professionnels et éventuellement, si le manuscrit est abouti, présenté à des éditeurs.
Dans ce podcast, Jessica Nelson partage le plaisir d’enfant avec lequel elle aborde l’écriture et la littérature. Mais elle raconte aussi les difficultés, les moments de panne, de blocage, les refus d’éditeurs qui lui ont permis de se construire et d’apprendre à écrire. Enfin et surtout, elle nous parle de sa passion de toujours : les manuscrits d’écrivains comme Marcel Pagnol, Flaubert, Raymond Radiguet... et de tous les trésors d’apprentissage qu’ils recèlent.
Autrice de plusieurs romans (dont “Mesdames, souriez chez Fayard, “Tandis que je me dénude” et “Debout sur mes paupières” chez Belfond) et d’un essai sur l’anorexie (“Tu peux sortir de table” chez Fayard), Jessica Nelson vient de publier une biographie romancée sur l’un de ses écrivains préférés, Raymond Radiguet : “Brillant comme une larme” (Albin Michel).
Création et réalisation : Lauren Malka. Musique : “Machine à écrire” Paroles : Louise Pressager / Musique Ferdinand Identité graphique : Nina Jovanovic. Direction générale : Elise Nebout.
Extrait lu : “Brillant comme une larme”, (éditions Albin Michel, janvier 2020
“Raymond ignorait toutefois que sa vocation de poète impressionnerait autant Alice. A-t‐il été prétentieux en en faisant mention ? Il s'agit pourtant bien d'un désir qui le tenaille depuis fort longtemps ; chaque jour, il s'astreint à écrire quelques vers. À présent qu'Alice est au courant, prétendre à ce titre lui paraît tout naturel. Il sera poète. Ou plus exactement : il est poète. – Une carrière de poète, cela se vit, mais cela se pense, aussi ! fait remarquer Alice. Regardez-moi. Regardeznous. Mon rêve est d'exposer mes modestes oeuvres. Cependant, je ne connais personne dans le milieu artistique parisien. Je sais que, sans appui, mon travail ne sera pas présenté au public. C'est pour cela que je me suis adressée à votre père. – Vous insinuez que je vais devoir trouver des appuis ? Que le travail seul ne suffit pas ? Un nuage plane brièvement au-dessus des jeunes gens. Alice a, sans le vouloir, profondément vexé le garçon. – Raymond, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, bien sûr que votre talent suffit, enfin, un coup de pouce ne sera pas de trop ! Ce serait un tremplin pour que votre art s'épanouisse ! Raymond ne réplique pas, de peur de gâcher leur parenthèse romantique en répliquant qu'il n'a besoin de personne pour avancer. Il sait au fond qu'elle n'a pas tort. N'étant pas le rejeton d'une famille aisée ou d'une dynastie influente, ne brillant pas au sein d'une constellation d'artistes, publier sa poésie risque d'exiger une sacrée dose de patience. Son intuition lui souffle à nouveau qu'il serait judicieux de contacter Apollinaire. Il se promet de reprendre la rédaction d'une lettre de présentation, dès son retour à Saint-Maur. Alice, de son côté et malgré l'ombre du nuage, se sent pousser des ailes. Ce soir, ses propres parents ne manqueront pas de la questionner : où est-elle allée, qu'at‐elle commandé, a-t‐elle déposé sa liste de mariage, choisi les meubles de la chambre à coucher ? Elle répondra par un demi-sourire, ou un demi-silence : elle sera pleinement femme en prenant cette liberté de ne pas répondre”.
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Épisode 5 - Se libérer dans son écriture avec Frédéric Ciriez
Frédéric Ciriez est un incontournable de l’école d’écriture Les Mots puisqu’il anime des ateliers depuis la création du lieu. Actuellement, il propose un atelier à partir du 23 mars sur le thème “Lire et écrire aujourd’hui” : une heure pleine d’écriture hebdomadaire pendant laquelle les participants sont amenés à jouer avec les codes des genres contemporains, le roman noir, la littérature blanche, le roman érotique, le récit autobiographique... Après quelques séances d’exercices, ceux et celles qui le souhaitent pourront se lancer dans un vrai projet de roman plus étoffé, en s’appuyant sur les conseils attentifs et personnalisés de Frédéric Ciriez.
Dans ce podcast, Frédéric Ciriez présente ses ateliers d’écriture bien-sûr mais aussi son rapport vital à la lecture et à l’écriture depuis l’enfance. Écrivain follement créatif, inventeur d’univers débridés que la presse acclame et qualifie souvent de “baroque”, auteur d’un film à succès (“La loi de la jungle” avec Vincent Macaigne) et de trois romans aux éditions Gallimard (collection Verticales), Frédéric Ciriez se confie ici sur ses premiers pas d’écrivain, sa première déception et raconte quelle a été sa clé personnelle pour se “libérer” dans son écriture. Parmi les très nombreux conseils qu’il donne aux jeunes écrivains dans ce podcast, il explique notamment toute la persévérance dont il faut faire preuve face au monde de l’édition, une vraie “machine à dire non”.
Création et réalisation : Lauren Malka. Musique : “Machine à écrire” Paroles : Louise Pressager / Musique Ferdinand Identité graphique : Nina Jovanovic. Direction générale : Elise Nebout.
Extraits lus : “”BettieBook” (Collection Verticales, Gallimard) Paru le 04-01-2018
Mélange de deux extraits : pages 70 et 76, 77
“Je suis au lit. Je pense. Le mot écrivain est prétentieux, souvent ridicule, comme une revendication désespérée ou une déclaration honteuse. « Critique littéraire » fait anachronique, arbitre des élégances perdu dans une soirée électronique de la Nouvelle Athènes, Paris IXe . Le mot chroniqueur, plutôt terre-à-terre, résiste à l'épreuve du temps, glissant de l'événement à la marchandise, de Joinville à Cultura.Le mot auteur se révèle fonctionnel, productiviste, trans-disciplinaire, informe, statutaire, sans caractère ni contour, abject. J'aime de plus en plus le mot booktubeuse, imagé, agrégatif, mutant, neuf, numérique, en phase avec le temps, attaché à Bettie” (page 70)
(...)
“Je dis à Bettie : « Dessine-moi un manifeste. » Elle dit : « Un quoi ? » Je lui dis : « Dis-moi pourquoi booktubeuse c'est ta life à toi et à tes copines. » Elle dit : « Ah, ok ! » Elle se met face à moi et se transforme en BettieBook : « Attention la Toile, les booktubeuses arrivent et font le buzzzz ! On est nombreuses et on sait ce qu'on veut. On est là et on nous délogera jamais de la maison des Livres ! On est une, puis on est deux, on se multiplie comme les petites souris partout où il y a du texte à grignoter. On est les lectrices d'aujourd'hui, au plus près des fans qui nous kiffent. On est le nouveau monde ! » Elle s'arrête puis me demande : « C'est ça un manifeste ? » Bettie me dit : « Prends ma place, essaye. » Je lui dis : » Je sais pas... » Elle insiste : « Allez, comme ça tu vas tester la critique en vidéo ». Elle s'assoit à côté de moi, dans le canapé. « Je te regarde ». Je me lève, me place face à l'objectif, commence une impro. « Salut à tous, bienvenue chez Bettie de BettieBook qui me fait l'honneur de me laisser m'exprimer aujourd'hui sur sa chaîne... La critique littéraire écrite est en mauvaise santé et va bientôt être remplacée par la critique vidéo... Non, ce n'est pas une dystopie comme celles qu'affectionne Bettie, c'est le présent, et il fallait bien qu'un jour ce soit un critique littéraire de l'ancien monde qui le reconnaisse... Voilà, c'est la lutte des classes, moi et les miens on a perdu, mais la littérature va se venger... » Bettie rit : « Bon, tu rames un peu, mais la critique vidéo ça s'apprend. Peut-être que ça te stresse qu'on te voit, c'est pas de la radio. » Je lui dis : « Même à la radio maintenant on te filme. » Elle ajoute : » Je vais poster ça sur le web, la planète va recevoir tes confidences. » Je lui dis : « Si tu fais ça, tu n'iras pas à Los Angeles. » Je m'assois près d'elle. Soudain on s'embrasse. (pages 76 et 77)
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Épisode 7 - Ne jamais renoncer à sa création avec Diane Brasseur
Diane Brasseur revient sur ses les plaisirs immenses et minuscules qui ont jalonné son parcours et qui l’ont amenée à devenir romancière...
Diane Brasseur est une romancière particulièrement appréciée à l’Ecole Les Mots. Elle a été l’une des premières à rejoindre l’aventure lors de la création de l’école en 2017 et, trois ans plus tard, ses ateliers ne désemplissent pas. Ecrivaine et scripte pour le cinéma, Diane voue une passion absolue aux souvenirs et mène un combat : celui de ne jamais laisser un artiste renoncer à sa création.
Dans ce podcast, elle revient sur les plaisirs immenses et minuscules qui ont jalonné son parcours et qui l’ont amenée à devenir romancière : le premier rapport au papier, les premières lectures, les ateliers d’écriture qu’elle a fréquentés dès l’âge de 14 ans, le premier coup de fil d’éditeur dont elle livre un récit saisissant. Elle nous lit ses brouillons d’adolescence, nous montre ses carnets et nous explique la façon toute artisanale dont elle a fabriqué son dernier roman, à partir de milliers de lettres familiales. Une vraie immersion dans son propre atelier d’écrivaine.
Autrice de trois romans, tous parus aux éditions Allary, “Les Fidélités” (2014), “Je ne veux pas d’une passion” (2015) et La Partition (2019), Diane Brasseur a tourné une trentaine de long métrages avec des cinéastes comme Olivier Marchal, David Foenkinos, et Valérie Lemercier et aime particulièrement accompagner des réalisateurs pour le tournage de leur premier film : Nicolas Bedos, Abd Al Malik, Andréa Bescond et Eric Metayer par exemple.
Crédits
Création et réalisation : Lauren Malka. Musique : “Machine à écrire” Paroles : Louise Pressager / Musique Ferdinand Identité graphique : Nina Jovanovic. Direction générale : Elise Nebout.
Extraits lus par Diane Brasseur : Extraits de ses journaux intimes :
- “Dans mon roman, il y aura” (écrit à 24 ans)
- Brouillon qui formera l’incipit de son premier roman publié “Les Fidélités” (Allary, 2014)
Extrait lu par Lauren Malka : “Les Fidélités” de Diane Brasseur (premières pages)
“Je ne veux pas vieillir. Je ne veux pas que des taches brunes apparaissent sur mes mains, je ne veux pas avoir la goutte au nez sans m’en rendre compte, je ne veux pas demander à mon interlocuteur de répéter ce qu’il vient de dire en glissant ma main en cornet derrière mon oreille pour faire caisse de résonance. Je ne veux pas oublier le nom d’une ville où j’ai été, je ne veux pas moins bander, je ne veux pas qu’on me cède la place dans le bus même s’il m’arrive de le faire, même si je dis à ma !lle de le faire. Je ne veux pas envisager la mort sereinement. J’ai 54 ans et, depuis un an, je trompe ma femme avec une autre femme, une femme plus jeune que moi, une jeune femme qui a vingt-trois ans de moins que moi.
Je voudrais qu’ils aient tort, ceux qui penseront : «Et alors ? Ce sont des choses qui arrivent au bout de dix-neuf ans de mariage.» Ceux qui auront de l’empathie pour moi parce qu’ils ont déjà vécu cette situation, ceux qui tenteront une explication psychologique. Je voudrais les empêcher de faire le calcul : «Quel âge auras-tu quand elle aura 37 ans ? » Je voudrais qu’ils aient tort, ceux qui nous regardent un peu trop longtemps dans la rue, au parc, au restaurant. Ceux qui m’adressent un sourire complice et viril comme si j’étais au volant d’une belle voiture. Je ne serais pas surpris si, un de ces jours, je recevais une tape amicale dans le dos.
À quoi ressemble la maîtresse d’un homme marié ? Elle est belle, elle est jeune, elle est un tout petit peu vulgaire. Son appétit sexuel est insatiable. Elle est fragile et elle n’a pas con!ance en elle. Elle ne s’engage pas, ça l’arrange d’être avec un homme marié. J’ai un radar maintenant, j’entends au milieu des conversations, dans les cafés ou au cours d’un dîner, tout ce que j’aurais pu dire moi-même, avant. C’est devenu une obsession, tous les couples que je regarde sont illégitimes. Si je vois un homme embrasser une femme, passionnément, dans l’avion, je pense : « Ce n’est pas ta femme.»
J’observe les couples s’étreindre, tard le soir, sur le quai du métro. Ces deux-là sont dans les bras l’un de l’autre depuis trop longtemps pour ne pas être dans l’interdit. J’imagine leur conjoint respectif. Je n’aime pas le mot «maîtresse ». Je l’associe à la voix nasillarde de mes camarades de classe à l’école primaire. J’ai une maîtresse, j’ai une liaison. Je suis in!dèle. Je le répète mentalement plusieurs fois par jour pour m’en convaincre. J’ai l’impression de penser à la place d’un autre homme."
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